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samedi 24 juin 2017

Les journalistes : aujourd’hui des copieurs, demain des robots…

Michel Lhomme, philosophe, politologue 

L’INA (Institut National de l’Audiovisuel) a publié une étude intéressante sur l’utilisation des médias .

Trois chercheurs spécialisés ont examiné l’offre de contenu en ligne publiée en 2013. Au total, cela correspond à 2,5 millions d’articles publiés sur 25 000 événements qui ont été émis par 86 médias différents.
Les conclusions sont stupéfiantes et ne sont certainement pas seulement valables pour les médias français.

Quelques chiffres

64% de tous les articles ont été copiés dans leur intégralité, soit les deux tiers de ces contenus…
Lorsqu’un article a été copié, 92 % des rewriters « oublient » de mentionner la source d’origine. Souvent, ils indiquent que cette source est l’AFP, même si ce n’est pas le cas (pratique commune dans les rédactions).
En moyenne, il faut 175 minutes pour qu’un article original publié sur un média soit copié par un autre. La moitié des articles sont dupliqués en moins de 25 minutes, et un quart le sont même en 4 minutes. Lorsque l’éditeur original est un pure player, ce délai est ramené à 405 minutes, probablement parce que les médias traditionnels veulent prendre le temps d’effectuer des vérifications pour éviter de reprendre des informations totalement erronées. En Belgique, comme les médias sont entièrement détenus par des grands groupes, on observe moins ce phénomène. Ce sera bientôt le cas en France.
1 article publié sur 5 (21 %) est tout à fait original. 1 autre sur 5 (19 %) ne contient aucun élément original. 56 % des articles ont moins de 20 % de contenu original.
Le nombre d’événements rapportés par les médias est remarquablement stable, quel que soit le jour de la semaine, et chaque jour, les journaux français rapportent 68 événements différents en moyenne, à l’ exception des week-ends.
En réalité, sur le plan professionnel, ce « copiage » devrait cesser car il n’y aura  bientôt plus de journalistes. A terme, ils seront remplacés par des algorithmes. Nous n’en sommes en effet plus très loin avec l’émergence des outils informatiques de Fact checking comme le Decodex du Monde ou le CrossCheck  adopté par des dizaines de rédactions dans le but de traquer les fake news.
De fait, c’est en Californie que s’élabore désormais l’avenir du journalisme officiel, notamment français. Le News Lab est ce «ministère de la vérité» de Google qui «collabore avec journalistes et entrepreneurs pour construire l’avenir des médias». Le manifeste de sa mission primordiale «Fiabilité et Vérification» a été repris tel quel par les médias français pour justifier leur nouvelle besogne : trier, uniformiser, contrôler les contenus.

En effet, la dématérialisation de la presse ne marque pas une simple évolution technique, mais un véritable changement de métier. En passant dorénavant par des services et des applications sans grand lien avec ce qui était autrefois le cœur de la profession, l’esprit critique et la réflexion, le concept du journaliste chercheur de vérité vole aujourd’hui en éclat et les écoles de journalisme de demain ne seront plus que des écoles de formation aux logiciels de contrôle.

Sous les formulations doucereuses du News Lab, on décèle en sourdine le projet d’une supervision universelle de l’information par contrôle, filtrage et élimination, étroitement parente en particulier des pratiques logicielles de la NSA dénoncées par Snowden. Les médias d’information sont donc déjà du passé. L’information ne sera que de la communication. Seuls quelques pathétiques opposants sans moyens croiront encore à l’existence des infos.

D’ailleurs, aujourd’hui déjà, les jeunes ne s’«informent» plus en lisant Le Monde mais en puisant dans une sorte de quartz nébulisée par les réseaux sociaux. Tous ces réseaux sont régis par des algorithmes qui sélectionnent les informations qu’ils reçoivent et les orientent vers ceux qui pensent comme eux. Modifier cette orientation, y introduire une part graduelle d’inversion, discréditer les identités où l’on se reconnaît sur le net, n’est plus en effet qu’une affaire de programmation et il s’agira d’y former les futurs  journalistes 2.0. Ils n’auront donc même plus besoin de copier, les machines travailleront pour eux. D’où l’investissement massif des pouvoirs financiers et politiques américains dans la fabrication de tous ces algorithmes de contrôle, seul avenir du net et de la profession.
Une telle mécanicisation de la pensée ne s’est encore jamais vue dans l’histoire.  Les esprits, en particulier français, y sont depuis longtemps préparés. Quant aux rebelles du net, récemment, un haut dirigeant de l’Otan a assimilé les « fake news », les « complotistes » à une agression militaire contre l’Alliance au sens du fameux article 5 de la charte de l’Organisation Atlantique.

information a tout prix

L’arrestation de blogueurs en territoire européen est pour bientôt mais nous sommes persuadés qu’elle ne sera même pas nécessaire. L’information en continu fonctionnant comme un bulldozer, on voit bien que petit à petit, il y a de moins en moins de blogs. Comme les radio libre d’autrefois, ces derniers s’éteindront d’eux-mêmes sous la pression marchande et l’anonymat démotivant des « réseaux »? Qui aimera encore travailler pour rien ?
Lire : « L’information à tout prix », de Julia Cagé, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud (Ina Editions, 2017)
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