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samedi 21 avril 2018

Le bouleversement capétien - de la nécessité d’une bonne institution


Pour beaucoup, le bon gouvernement dépend principalement des bonnes dispositions de son chef, aussi recherchent-ils le « saint roi », le « saint président »... Plus rares sont ceux qui se posent la question cruciale de la forme de l’institution politique. En effet le philosophe Léo Strauss rappelle que « la question principale de la philosophie politique classique est la question du meilleur régime [...] Aristote dit que le bon citoyen pur et simple n’existe pas. Car ce que signifie être un bon citoyen dépend entièrement du régime considéré. Un bon citoyen dans l’Allemagne hitlérienne serait partout ailleurs un mauvais citoyen. Mais tandis que le bon citoyen est relatif au régime, l’homme bon n’a pas cette relativité. La signification d’homme bon est partout et toujours la même. L’homme bon ne se confond avec le bon citoyen que dans un seul cas — dans le cas du meilleur régime. Car c’est seulement dans le meilleur régime que le bien du régime et le bien de l’homme bon sont un seul et même bien, le but de ce régime étant la vertu* ». Dans ces circonstances, la République est-elle baptisable ? Existe-t-il une forme de gouvernement naturelle et compatible avec le message évangélique ? Sommes-nous condamnés à toujours nous accommoder du « moindre mal » et à nous complaire dans un agnosticisme politique propre à justifier toutes les désertions et les compromissions ?
Souvent pour nos contemporains, le meilleur gouvernement est celui qui prône l’idéologie dont ils se sentent le plus proche, que ce soit dans le cadre de la cinquième République ou d’une autre. La « bonne » idéologie suffirait à elle seule à rendre le gouvernement bon.

Dans le même ordre d’idée et, bien sûr sans assimiler la religion à une idéologie, on constate que beaucoup de catholiques affectent de croire que la forme de gouvernement importe peu pourvu que celui ci reconnaisse le Christ Roi et soutienne son Église.

Ces conditions sont en effet requises pour faire une cité chrétienne conformément à l’enseignement du Christ quand il affirme tenir Sa royauté du Père. Nous dirons donc d’un tel gouvernement qu’il est légitime théologiquement. Remarquons par ailleurs que, même sans même se référer à la Révélation et en se cantonnant à la théologie naturelle (connaissance de Dieu par les seules lumières de la raison), il est en soi juste que la société rende un culte au Créateur et c’est précisément ce que l’on nomme « droit divin » ou hétéronomie.

Mais la légitimité théologique révélée permet-elle à elle seule d’assurer le bon gouvernement ?

Le bouleversement capétien (987-1789) Retour à la table des matières

En 987 Hugues Capet est élu roi par les grands puis sacré, sous la pression du puissant archevêque de Reims : Adalbéron.
Lors de l’élection, ce dernier impose le point de vue selon lequel pour épargner au pays les divisions entre héritiers, la monarchie ne doit plus être héréditaire mais élective : on élira le meilleur. Très habilement, de son vivant, Hugues Capet fait élire puis sacrer son fils aîné. Ses successeurs feront de même et le sacre anticipé ne disparaîtra qu’à la fin du XIIe siècle. Le royaume n’est plus partagé entre les enfants : seul l’aîné succède, ce qui assure stabilité et continuité ; la légitimité naturelle du pouvoir réalise un grand pas.

Cet événement capital passe pourtant complètement inaperçu à ses contemporains. En effet, l’institution s’est stabilisée mais le roi ne dispose plus d’aucun pouvoir :


  • Les comtes sont, pour la plupart, plus puissants que le roi ; ils ne se déplacent même plus pour lui prêter l’hommage féodal.
  • Le comte, devenu chef politique, dote sa province de châteaux qu’il confie à des vassaux.
  • Très souvent ceux-ci s’affranchissent à leur tour de la tutelle du comte. Cette atomisation de l’autorité politique qui se poursuit dans de nombreux comtés jusqu’au XIIe siècle est source de conflits permanents.
  • Pour lutter contre une insécurité grandissante due à une absence d’autorité politique efficace, les clercs proclament « la paix de Dieu » au concile de Charroux en 989 : interdiction de faire la guerre aux non combattants.
  • Le domaine royal couvre en gros l’Ile de France. Mais il est morcelé et disjoint par des châtellenies indépendantes et quelquefois hostiles comme celle du seigneur de Montlhéry dont les Capétiens ne viendront à bout qu’au … XIIe siècle ! ! !
En l’espace de deux ou trois générations, la certitude s’établit que l’autorité du comte ou du châtelain, ne lui vient pas du roi par délégation mais de la coutume.
Le début de la féodalité est une période d’anarchie durant laquelle on peut être vassal de plusieurs suzerains. Comment dès lors reconnaître la hiérarchie ? Quand on ne sait plus à qui obéir, on n’obéit plus à personne, le dévouement vassalique disparaît.
Il faut attendre les années 1110 avec le règne de l’énergique Louis VI le Gros pour retrouver un ordre hiérarchique au sommet duquel on trouve le roi.
Ce renouveau fait écho à la réforme grégorienne de l’Église (du pape St Grégoire VII).
Un des éléments de cette réforme consiste à établir une hiérarchie, non par les hommes mais par la terre. Si un homme peut être plusieurs fois vassal de seigneurs différents, en revanche la terre n’est « vassale » que d’une autre. Un fief « meut » donc d’un autre fief et ainsi de suite jusqu’au royaume, jusqu’au roi.
Louis VI aidé de Suger, abbé de Saint Denis et de nombreux clercs du royaume parvient peu à peu à imposer cette idée.
La renaissance de l’autorité politique royale permet l’avènement en France de l’âge d’or de la chrétienté médiévale :


  • Redécouverte des philosophes antiques, de la logique aristotélicienne, du droit romain.
  • Construction d’écoles, qui préfigurent les futures universités.
  • Renouveau littéraire : naissance du roman courtois ; roman de la Table Ronde.
  • Renouveau architectural : naissance de l’art gothique appelé à l’époque l’art français.
  • Échanges commerciaux et intellectuels intenses.
  • Pendant près de 300 ans le roi a toujours au moins un fils, c’est ce que l’on a appelé « le miracle capétien », jamais une fille ne succède.
En 1316 Louis X, fils de Philippe Le Bel, meurt en laissant une fille et une reine enceinte. Faute de garçon la jeune fille va-t-elle succéder ?
Avec le consentement général Philippe le Long, frère de Louis X, assure la régence. La reine met au monde un fils, Jean Ier qui ne vit que quelques jours. Jusqu’ici, seuls des garçons ont régné. Le quasi sacerdoce que confère la cérémonie religieuse du sacre, ainsi que l’atout que constitue un mâle en age de porter les armes militent en faveur de l’oncle.
Philippe succède donc sous le nom de Philippe V ; la loi de collatéralité est entérinée et conforte la loi de primogéniture mâle.
C’est ainsi qu’au fil des siècles l’institution politique s’enrichit de nouvelles lois de façon quasi empirique : une difficulté survient ? La solution adoptée ne contredit jamais les lois déjà existantes et devient définitivement la règle.
Ces lois sont appelées les Lois Fondamentales du Royaume de France.
Peu à peu s’affirment les principes selon lesquels :


  • La couronne n’est pas la propriété du roi : si personne ne peut la lui prendre, il ne peut la léguer à qui il veut.
  • Le successeur est désigné par la loi : la désignation de l’autorité politique s’affranchit de tout choix humain (y compris et surtout de celui du roi) : cela épargne au pays bien des déchaînements de passions pour la conquête du pouvoir.
  • Le pays n’est pas la propriété du roi, celui ci exerce une charge, remplit un office.
Les institutions de la monarchie capétienne réalisent le mieux le bien commun par l’ordre, la stabilité et la continuité qu’elles procurent. Elles sont donc les plus légitimes naturellement.

Les capétiens ne comptent peut-être pas dans leurs rangs des personnages de l’envergure d’un Charlemagne, mais la stabilité de l’institution leur permet, génération après génération, de reconstruire solidement ce que les temps féodaux ont morcelé.
En outre cette légitimité naturelle permet à la légitimité théologique d’apporter ses plus beaux fruits : développement de l’Église, des institutions civiles chrétiennes (chevalerie, confréries bourgeoises caritatives…), de l’esprit missionnaire.
L’histoire montre que le titre de fils aîné de l’Église donné au roi de France n’est pas usurpé.
Il convient de rappeler encore que cette institution politique a reçu à maintes reprises l’approbation de la Providence (mission de sainte Jeanne d’Arc, apparitions du Sacré Cœur à sainte Marguerite Marie, apparitions du Christ Roi à sainte Catherine Labouré…).
Quelques chiffres : De Hugues Capet à Louis XVI on compte 33 rois en 803 ans ; 24 ans de règne par roi en moyenne (soit l’espace qui sépare deux générations).
Aucune rupture, aucune entorse à l’institution n’est à déplorer.

La Révolution contre les institutions Retour à la table des matières

Les États révolutionnaires font leur la devise rousseauiste Liberté, Égalité, Fraternité.
Pour eux obéissance s’oppose à liberté ; hiérarchie s’oppose à égalité.
La légitimité ne provient ni de Dieu ni de la réalisation du bien communmais du choix du peuple par la loi du nombre.
Or les institutions dans un sens général imposent à l’homme l’obéissance à une hiérarchie qu’il ne choisit pas (dans la famille on ne choisit son père qui détient l’autorité).
Donc la Révolution combat les institutions pour « libérer » les hommes de leur joug :

  • Destruction de l’institution Église : le prêtre ne tient pas son autorité d’un vote de ses ouailles.
  • Destruction du mariage et de la famille de l’autorité paternelle …
  • Destruction des corporations.
  • Destruction des provinces.
  • Destruction de l’institution monarchique française.
Cette institution politique en particulier est insupportable à un esprit révolutionnaire, en effet : nous venons d’établir historiquement que son haut degré de légitimité naturelle réside précisément en ce que la désignation de l’autorité politique est soustraite au choix humain.
L’institution de l’Ancienne France s’est élaborée au fil des siècles au gré des nécessités grâce à la pensée inductive.
La Révolution lui substitue des embryons d’institutions créés de toute pièce par une pensée déductive avec comme point de départ des idéologies déconnectées de la réalité.
Dans ce cas peut on encore parler d’institution pour désigner les démocraties révolutionnaires ?
À l’instar de Tocqueville, nombre de sociologues estiment en effet que la démocratie moderne est plus un état d’esprit qu’une institution.
Le terme institutions est quand même incontournable en ce sens qu’aucune société ne saurait exister sans gouvernement [4].
Cependant les institutions démocratiques sont dénaturées car leur finalité n’est plus le bien commun mais la libéralisation des individus, leur affranchissement de toute contrainte sociale et morale.
En outre Tocqueville souligne la passion de l’égalité qui dévore inexorablement les hommes vivant en démocratie. Rien n’est plus opposé à l’idée d’institution qui ambitionne au contraire le triomphe de la raison et de la loi sur la passion, celui de la hiérarchie bienfaisante et constructrice sur l’individualisme de citoyens égaux.

Les tentatives de rétablissement d’institutions politiques chrétiennes. Retour à la table des matières

Des régimes comme ceux de Garcia Moreno en Équateur, de Franco en Espagne et de Salazar au Portugal sont autant de tentatives de restauration de véritables institutions :

  • Les partis sont interdits car facteurs de divisions.
  • Les institutions civiles traditionnelles sont encouragées (politiques familiales, restaurations de corps de métier…)
  • Les institutions politiques sont chrétiennes.
Mais ces édifices s’écroulent à la mort de l’homme fort, la pérennité du bien commun n’est pas assurée, pire : le pays retourne immanquablement à la Révolution.
Sur le plan de la légitimité naturelle, ces institutions sont donc très imparfaites, au moins aussi fragiles que celles du Bas Empire romain ou que celles de la monarchie carolingienne.

 

Conclusion Retour à la table des matières

En guise de conclusion nous ferons trois constats :

  • Il est impossible d’envisager une politique chrétienne durable dans le cadre démocratique, cela n’a jamais existé dans l’histoire. Continuer d’affirmer que c’est pourtant théoriquement possible relève de l’utopie car contraire aux faits.
  • La dictature chrétienne possède du point de vue naturel une légitimité très faible car son instabilité ne garantit pas la pérennité du bien commun, elle ne saurait donc constituer un idéal politique.
  • La mise en place d’une institution politique ne s’improvise pas :nos pères ont chèrement payé par plus de 500 ans de tâtonnements et d’errances l’élaboration de cette magnifique institution qu’est la monarchie capétienne.
Prétendre repartir de zéro et créer de toute pièce un « régime catholique » armé de la seule légitimité théologique serait irresponsable et orgueilleux. Ce serait surtout se moquer de la Providence en méprisant une institution dont on ne peut nier qu’Elle l’a suscitée et soutenue. À travers l’épopée de la Pucelle, Dieu a clairement montré aux Français où étaient leur devoir et le bien à atteindre : Il a placé sur le Trône le successeur désigné par les Lois Fondamentales du Royaume, Charles VII, un personnage pourtant bien médiocre. Leur a-t-il donné un contre-ordre depuis ? Non ! Au contraire : dans sa lettre encyclique sur le Sillon le grand pape saint Pie X leur rappelle en 1910 :

Non, la civilisation n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées […]
Eh quoi ! on inspire à votre jeunesse catholique la défiance envers l’Église, leur mère ; on leur apprend […] que les grands évêques et les grands monarques, qui ont créé et si glorieusement gouverné la France, n’ont pas su donner à leur peuple ni la vraie justice, ni le vrai bonheur, parce qu’ils n’avaient pas l’idéal du Sillon !
Trop de mouvements catholiques — comme La Cité Catholique et maintenant Civitas — proposent une formation portant sur des principes de politique chrétienne mais refusent toute réflexion sur les institutions à mettre en place pour les appliquer, ceci PAR PEUR DES DIVISIONS.
C’est prendre les choses à l’envers : Si la finalité reste aussi floue que des principes généraux, chacun a une idée toute personnelle pour y parvenir, comment envisager une action cohérente quand le moment favorable arrivera ?
C’est l’unité de doctrine politique, l’union autour de la finalité concrète à atteindre, autrement dit l’union autour des institutions politiques à mettre en place qui donnera sa force au mouvement, qui permettra, avec la Grâce de Dieu, une action efficace.
Les sociologues nous disent qu’une institution n’est acceptée par le peuple que si celui ci est convaincu de son effet bénéfique.
Pour juguler le libéralisme et l’égalitarisme, ces passions qui dévorent nos contemporains, opposons :

  • La raison : éclairons les intelligences sur la nécessité et la beauté de l’institution politique traditionnelle française.
  • L’amour de Dieu, l’amour de l’ordre qu’Il a voulu, l’amour des institutions, l’amour de l’autorité, l’amour du roi.
Nous l’avons compris : il est impossible de faire l’économie d’une réflexion sur les institutions.

Faoudel

Source Viveleroy.fr

 
Nous vous recommandons d'étudier les 3 cycles [lien ici] sur la monarchie traditionnelle française proposés par l'UCLF.

« Convaincre durablement nécessite de s’adresser aux intelligences, d’où l’importance de bien connaître la monarchie traditionnelle française pour la faire aimer. »

Ce programme, indispensable à connaître, est à prendre comme une base historique à maîtriser parfaitement, libre à vous d'approfondir, ou d'étudier des auteurs contre-révolutionnaires, anti-mondialistes (projet messianique inavoué), anti-maçonniques, pour compléter votre formation. Nulle obligation d'adhérer à certaines analyses, plus contemporaines, qui n'engagent que leurs auteurs.
La rédaction.
 
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