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samedi 21 avril 2018

Le mythe et l'homme (par Alain de Benoist)



Le roi Arthur – Charles Ernest Butler
Le roi Arthur – Charles Ernest Butler
Le mythe et l'homme


Par Alain de Benoist

Extrait de L'empire intérieur, Fata Morgana, 1995, pp. 62-63.


Étant multivoque par nature, le mythe est une combinatoire qui évolue d'elle-même et s'adapte toutes les transformations sociales et culturelles, manifestant par là sa vitalité. Ce ne sont donc pas les structures matérielles qui suscitent les symboles, mais bien plutôt les formes symboliques qui contribuent à modeler les formes matérielles. C'est pourquoi la conception de Marx ou de Freud, ou encore celle des fonctionnalistes, selon qui le mythe ''reflète'', ''traduit'' ou ''exprime'' autre chose que lui-même, renvoyant en dernière analyse à la structure biologique, matérielle ou sociale, est immanquablement vouée à passer à côté de l'essentiel. La saisie du mythe, disons-le encore une fois, ne peut pas se ramener à une interprétation purement subjective. Il n'y a pas de clé herméneutique unitaire permettant d'appréhender le mythe d'après la société : la structure sociale n'éclaire pas le mythe, c'est au contraire le mythe qui éclaire la structure sociale. ''Les fonctionnalistes, écrit Jean-Pierre Vernant, sont bien en quête du système qui confère au mythe son intelligibilité, mais au lieu de le chercher dans le texte, dans son organisation apparente ou cachée, c'est-à-dire dans l'objet, ils le situent ailleurs, dans les contextes socioculturels où apparaissent les récits, c'est-à-dire dans les modalités d'insertion du mythe au sein de la vie sociale. Le mythe perd ainsi chez eux sa spécificité et ses valeurs de signification''. Bref, comme le dit Pierre Smith, ''il n'y a pas de clé des mythes. Ceux-ci, pris dans leur ensemble, cherchent moins à peindre le réel qu'à spéculer sur ses virtualités latentes, moins à penser quelque chose qu'à faire le tour des frontières du pensable''.

Longtemps regardée seulement comme l'inventrice de la raison et de l'individualisme philosophique (le ''miracle grec'' vu au prisme de l'idéologie du progrès), c'est-à-dire comme la première culture à s'être ''soulevée'' contre le mythe, la Grèce redevient elle-même, dans bien des travaux qui lui sont consacrés actuellement, la formulatrice et la conservatrice par excellence des catégories mythiques. Le mythe, ainsi, n'en finit pas de renvoyer à la source grecque. ''Nous ne mesurons pas encore, disait, Heidegger, de quelle façon initiale les Grecs ont été ceux qui savent''. ''La pérennité des mythes, écrit dans le même esprit Georges Gusdorf, c'est pas due aux prestiges de la fabulation, à la magie de la littérature. Elle atteste la pérennité même de la réalité humaine''.