Rédigé par Un moine de Triors
Traditionnellement, le
Samedi Saint est consacré au silence. Comme l’annonçaient déjà les
Lamentations de Jérémie, l’Église contemple dans le silence le salut
offert par Dieu. Nous devons à Pie XII la restauration heureuse de la
Vigile pascale à la nuit tombée et non plus le matin du Samedi Saint.
Nous pouvons ainsi rester toute la journée avec Marie « qui gardait toutes choses en son cœur »,
en silence contemplatif devant le mystère de la Croix. Ce silence est
d’ailleurs déjà en lui-même une parole et mieux une louange, selon
l’adage classique « tibi silentium laus ».
La souffrance sera toujours un profond
mystère devant lequel le silence est souvent la meilleure attitude. Mais
il y a plusieurs silences. Il y a d’abord le silence de Dieu Lui-même
qui, sous les apparences d’une absence, est une profonde parole d’amour
et le signe en creux d’une présence véritable. N’est-ce pas là toute la
spiritualité du Cantique des Cantiques que les Juifs lisaient justement
durant la Pâque ? Il y a aussi le silence de ceux qui restent devant la
Croix muets ou plutôt sans voix. Ce silence devant la souffrance,
surtout celle d’un innocent, peut prendre deux attitudes opposées : soit
celle de l’acceptation qui engendre une conversion accompagnée d’une
totale soumission à la volonté parfaitement sage et bonne de Dieu ; soit
à l’inverse celle de la révolte qui rejoint alors le cri des
blasphémateurs qui iront jusqu’à pousser le terrible : « Crucifie-le ».
La souffrance de l’impie ne pose en général pas de problème. Comme le
dit le jargon populaire : « Il n’a que ce qu’il mérite. C’est bien fait
pour lui ». Il en va tout autrement quand celui qui souffre est un
innocent. C’est la grande objection posée par exemple par Ivan
Kamarazov, dans Les Frères Kamarazov de Dostoïevski, qui croit
en Dieu pourtant, mais ne peut supporter la souffrance des enfants. Et
pourtant devant de telles souffrances, beaucoup aussi se taisent. Ils
n’osent pas parler et ont bien souvent peur du qu’en dira-t-on. C’est le
cas des Apôtres qui se turent durant la Passion de Jésus, témoignant
par là de leur incapacité de soutenir leur Maître persécuté. Pierre est
même allé, en rompant ce silence, jusqu’au triple reniement. Aujourd’hui
aussi beaucoup se trouvent paralysés, souvent par une routine
accablante et une torpeur démoniaque qui va jusqu’à faire perdre la
mémoire des bienfaits de Dieu déjà accordés. Les sans-voix rejoignent
alors le silence des persécutés, mais pour obtenir leur condamnation.
Ainsi laisse-t-on vite mourir des innocents. Grand péché par omission.
Mais à côté du silence des hommes peureux,
il y a aussi le cri des pierres. Elles ont déjà parlé le jour des
Rameaux, elles parlent encore la nuit pascale. Est éloquent à ce sujet
le silence du tombeau vide, preuve historique sinon certaine du moins
plus que probable de la Résurrection du Christ. À la parole des pierres
fait écho celle des anges : Il est ressuscité. À la parole des pierres
s’associe également toute la création qui proclame le triomphe de la vie
sur la mort après le combat gigantesque qui les vit s’affronter. La vie
l’emporte ainsi à tous les niveaux sur la mort et le cri d’espérance de
la création fait sauter tous les murs de la peur et de la haine. Si
nous nous associons au cri de la création, nous permettrons au Christ de
triompher de toutes nos lâchetés. Nous aussi, nous devons chanter le
cantique nouveau avec la création entière, avec les saintes Femmes et en
premier lieu avec la Vierge Marie : le Christ est vraiment ressuscité.
N’ayons plus peur. Ouvrons-lui toutes grandes les portes de notre cœur.
Amen ! Alleluia !
VEILLÉE PASCALE
HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS
Basilique vaticane
Samedi saint, 30 mars 2013
Chers frères et sœurs,
1. Dans l’évangile de cette nuit lumineuse
de la Vigile pascale, nous rencontrons d’abord les femmes qui se
rendent au tombeau de Jésus avec les aromates pour oindre son corps
(cf. Lc 24,1-3). Elles viennent pour accomplir un geste de compassion,
d’affection, d’amour, un geste traditionnel envers une chère personne
défunte, comme nous le faisons nous aussi. Elles avaient suivi Jésus,
l’avaient écouté, s’étaient senties comprises dans leur dignité et
l’avaient accompagné jusqu’à la fin, sur le Calvaire, et au moment de la
déposition de la croix. Nous pouvons imaginer leurs sentiments tandis
qu’elles vont au tombeau : une certaine tristesse, le chagrin parce que
Jésus les avait quittées, il était mort, son histoire était terminée.
Maintenant on revenait à la vie d’avant. Cependant en ces femmes
persistait l’amour, et c’est l’amour envers Jésus qui les avait poussées
à se rendre au tombeau. Mais à moment-là il se passe quelque chose de
totalement inattendu, de nouveau, qui bouleverse leur cœur et leurs
programmes et bouleversera leur vie : elles voient la pierre enlevée du
tombeau, elles s’approchent, et ne trouvent pas le corps du Seigneur.
C’est un fait qui les laisse hésitantes, perplexes, pleines de questions
: « Que s’est-il passé ? », « Quel sens tout cela a-t-il ? »
(cf. Lc 24,4). Cela ne nous arrive-t-il pas peut-être aussi à nous quand
quelque chose de vraiment nouveau arrive dans la succession quotidienne
des faits ? Nous nous arrêtons, nous ne comprenons pas, nous ne savons
pas comment l’affronter. La nouveauté souvent nous fait peur, mais aussi
la nouveauté que Dieu nous apporte, la nouveauté que Dieu nous demande.
Nous sommes comme les Apôtres de l’Évangile : nous préférons souvent
garder nos sécurités, nous arrêter sur une tombe, à une pensée pour un
défunt, qui à la fin vit seulement dans le souvenir de l’histoire comme
les grands personnages du passé. Nous avons peur des surprises de Dieu.
Chers frères et sœurs, dans notre vie nous avons peur des surprises de
Dieu ! Il nous surprend toujours ! Le Seigneur est ainsi.
Frères et sœurs, ne nous fermons pas à la
nouveauté que Dieu veut apporter dans notre vie ! Ne sommes-nous pas
souvent fatigués, déçus, tristes, ne sentons-nous pas le poids de nos
péchés, ne pensons-nous pas que nous n’y arriverons pas ? Ne nous
replions pas sur nous-mêmes, ne perdons pas confiance, ne nous résignons
jamais : il n’y a pas de situations que Dieu ne puisse changer, il n’y a
aucun péché qu’il ne puisse pardonner si nous nous ouvrons à Lui.
2. Mais revenons à l’Évangile, aux femmes
et faisons un pas en avant. Elles trouvent la tombe vide, le corps de
Jésus n’y est pas, quelque chose de nouveau est arrivé, mais tout cela
ne dit encore rien de clair : cela suscite des interrogations, laisse
perplexe, sans offrir de réponse. Et voici deux hommes en vêtement
éclatant, qui disent : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les
morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité » (Lc 24,5-6). Ce qui était
un simple geste, un fait, accompli bien sûr par amour – le fait de se
rendre au tombeau –se transforme maintenant en évènement, en un fait qui
change vraiment la vie. Rien ne demeure plus comme avant, non seulement
dans la vie de ces femmes, mais aussi dans notre vie et dans l’histoire
de notre humanité. Jésus n’est pas un mort, il est ressuscité, il
est le Vivant ! Il n’est pas seulement revenu à la vie, mais il est la
vie même, parce qu’il est le Fils de Dieu, qu’il est le Vivant
(cf. Nb 14, 21-28, Dt 5,26, Jon 3,10) Jésus n’est plus dans le passé,
mais il vit dans le présent et est projeté vers l’avenir, Jésus est l’«
aujourd’hui » éternel de Dieu. Ainsi la nouveauté de Dieu se présente
aux yeux des femmes, des disciples, de nous tous : la victoire sur le
péché, sur le mal, sur la mort, sur tout ce qui pèse sur la vie et lui
donne un visage moins humain. Et c’est un message qui est adressé à moi,
à toi chère sœur et à toi cher frère. Combien de fois avons-nous besoin
de ce que l’Amour nous dise : pourquoi cherchez-vous parmi les morts
Celui qui est vivant ? Les problèmes, les préoccupations de tous les
jours nous poussent à nous replier sur nous-mêmes, dans la tristesse,
dans l’amertume… et là, c’est la mort. Ne cherchons pas là Celui qui est
vivant !
Accepte alors que Jésus Ressuscité entre
dans ta vie, accueille-le comme ami, avec confiance : Lui est la vie !
Si jusqu’à présent tu as été loin de Lui, fais un petit pas : il
t’accueillera à bras ouverts. Si tu es indifférent, accepte de risquer :
tu ne seras pas déçu. S’il te semble difficile de le suivre, n’aies pas
peur, fais-lui confiance, sois sûr que Lui, il est proche de toi, il
est avec toi et te donnera la paix que tu cherches et la force pour
vivre comme Lui le veut.
3. Il y a un dernier élément tout simple
que je voudrais souligner dans l’Évangile de cette lumineuse Vigile
pascale. Les femmes découvrent la nouveauté de Dieu : Jésus est
ressuscité, il est le Vivant ! Mais devant le tombeau vide et les deux
hommes en vêtement éclatant, leur première réaction est une réaction de
crainte : « elles baissaient le visage vers le sol » ? note saint Luc ?,
elles n’avaient pas non plus le courage de regarder. Mais quand elles
entendent l’annonce de la Résurrection, elles l’accueillent avec foi. Et
les deux hommes en vêtement éclatant introduisent un verbe fondamental :
rappelez-vous. « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était
encore en Galilée… Et elles se rappelèrent ses paroles » (Lc 24,6.8).
C’est donc l’invitation à faire mémoire de la rencontre avec Jésus, de
ses paroles, de ses gestes, de sa vie ; et c’est vraiment le fait de se
souvenir avec amour de l’expérience avec le Maître qui conduit les
femmes à dépasser toute peur et à porter l’annonce de la Résurrection
aux Apôtres et à tous les autres (cf. Lc 24,9). Faire mémoire de ce que
Dieu a fait et fait pour moi, pour nous, faire mémoire du chemin
parcouru ; et cela ouvre le cœur à l’espérance pour l’avenir. Apprenons à
faire mémoire de ce que Dieu a fait dans notre vie.
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