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vendredi 20 avril 2018

Les grandes ambitions de la Chine en Afrique

Michel Lhomme ♦
Philosophe, politologue.


La vision de la Chine One Belt One Road, la «nouvelle route de la soie» tend à occulter la vraie offensive chinoise du moment, celle qui est matériellement en cours : l’Afrique.  En fait, la Chine met actuellement les bouchées doubles pour  construire deux routes commerciales transocéaniques reliant l’océan Indien et les côtes atlantiques de l’Afrique, d’où sa présence par exemple cette semaine au plus haut niveau à Moroni aux Comores pour la construction du grand CHU au vu et au su de la France humiliée et paralysée par la stupidité politique de la départementalisation de Mayotte pour de simples raisons électoralistes (merci Sarkozy). Pour assurer sa puissance économique mondiale, la Chine a besoin de contrôler en effet deux routes africaines

la NTAR ou Route Transocéanique Nord Africaine

 

Les nouvelles routes de la soie

La NTAR ou route du nord devrait être une voie intermodale intégrant les infrastructures ferroviaires et fluviales, reliant le port de Mombasa, situé dans l’océan Indien au Kenya, au port atlantique de Matadi au Congo ou au port de Pointe-Noire de la République du Congo. Un chemin de fer est actuellement prévu pour aller de Mombasa à la capitale ougandaise de Kampala. Il serait ensuite prolongé à la ville de Kisangani, au nord-est du Congo, sur les rives du fleuve Congo. Or,  de là, le fleuve le plus profond du monde est navigable jusqu’à la capitale congolaise, Kinshasa, et à la capitale du Congo, Brazzaville. Cette route du nord a une signification supplémentaire en raison de sa proximité avec le futur barrage Inga 3 construit par la Chine, que The Guardian estime être le plus grand du genre au monde. Selon The Guardian, le méga projet chino-congolais Inga 3 pourra fournir 40% des besoins en électricité de l’Afrique en raison de son potentiel à générer autant d’énergie que vingt réacteurs nucléaires. La Chine souhaite commencer les travaux au plus vite avant la fin de l’année.  Une telle prouesse colossale de l’ingénierie chinoise permettra à l’Empire du Milieu et à son partenaire congolais d’exercer une influence multipolaire sur la majeure partie de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. 

Actuellement, le projet fait l’objet de lourdes critiques de la part des ONG en raison de son impact environnemental et du fait que plus de 35 000 personnes pourraient être déplacées. Ces Ong sont occidentales et révèlent la position américaine de forcer Kabila à démissionner à la fin de son mandat, pour permettre son remplacement par un leader pro-occidental plus fiable, un homme-lige, pas vendu aux Chinois. En effet, Ong et faux rebelles mercenaires fonctionnent en Afrique souvent main dans la main dans le déclenchement des guerres hybrides.

Deuxième route : la STAR ou route africaine transocéanique méridionale (STAR)

La route du sud (STAR) est déjà partiellement couverte par le chemin de fer  de Tazara construit par les Chinois dans les années 1970, qui relie la côte tanzanienne près de la plus grande ville de Dar es Salaam aux régions riches en cuivre du centre de la Zambie. De là, d’autres infrastructures ferroviaires ont été construites de manière indépendante à travers la région congolaise du Katanga, riche en ressources minérales. Les chemins de fer du Katanga étaient reliés au chemin de fer angolais de Benguela mais hors service suite aux guerres civiles. La Chine le remet actuellement en service.

La Chine envisage également d’étendre le chemin de fer Tazarz du centre de la Zambie au carrefour angolais-congolais via son projet North West Railroad. Pas moins de 7 pays africains sont connectés à ces deux projets, 3 autres (Rwanda, Burundi et Malawi) étant si étroitement liés que leur stabilité est essentielle à la viabilité de ces projets. Mais curieusement depuis quelques semaines, au nord du Mozambique, un groupe armé islamiste a fait son apparition. Des Islamistes armés mènent actuellement des raids dans la région de Moçimba de Praia à l’extrême nord du pays qui rappellent totalement le mode opératoire de Boko Haram au Nigeria. Ce sont de jeunes musulmans radicalisés, la population locale les nomme comme en Somalie les « chabab »(« les jeunes », en arabe). Ils affirment combattre l’État et vouloir l’application de la charia, de la loi islamique. Leurs premières cibles sont les fonctionnaires – policiers, leaders communautaires, infirmiers, professeurs – et on compte déjà plusieurs morts parmi les élites dirigeantes cultivées de la région. Mais le reste de la population est aussi visé, même si les autorités évitent de l’admettre. Les habitants parlent d’assassinats à la machette dans les champs, d’enlèvements de femmes, de maisons brûlées. Dans le village de Makulo, à une trentaine de kilomètres de Moçimba, les assaillants ont brûlé une église et hissé le drapeau de l’État islamique, avant d’être délogés. Le Nord du Mozambique c’est à quelques encablures de Mayotte sur la nouvelle route migratoire Angola-Zambie-Mozambique-Comores-Mamoudzou mais le déstabiliser, c’est aussi casser la seconde route chinoise.
Les Routes Africaines Transocéaniques du Nord et du Sud sont des projets purement chinois et il importe qu’une fois construite ces routes soient contrôlées d’où l’importance pour la Chine d’avoir dans la région des alliés fiables, des Etats-amis comme l’est actuellement le Congo de Kabila. Pour d’autres puissances, les Etats-Unis, il importe de déstabiliser ces régions, de les islamiser ou d’utiliser l’arme des migrations de masse. Et c’est là que nous retournons à Mayotte. Dans le laxisme de nos dirigeants et de nos hauts technocrates se trouve cette ignorance crasse : les flux de populations peuvent aussi être politiques et sont aujourd’hui utilisés par beaucoup comme des armes nouvelles, qu’on appelle d’ailleurs maintenant dans le jargon militaire sauf en France « les armes des migrations de masse ».

Au Congo, il  s’agit  de chasser l’influence chinoise du pays

Il s’agit aussi de rendre impossible pour la Chine d’utiliser le territoire de la République du Congo comme une alternative complémentaire au chemin de fer Kinshasa-Matadi pour la Route Transocéanique Nord Africaine. Kabila deviendra pour les mêmes raisons qu’à la fin des années 90, quand Alberto Fujimori au Pérou, entreprit une politique pro-chinoise, la personne à abattre. Il semblerait donc qu’afin de contenir le développement des Routes Africaines Transocéaniques en Chine, Washington ait maintenant l’intention de déstabiliser le cœur géopolitique de l’Afrique : le Congo. Un renouvellement du conflit au Congo mettrait en péril le commerce de cobalt en Chine, anéantirait l’ambition de Pékin de faire de la Chine le leader mondial de la technologie des batteries électriques.

Le Congo a déjà été l’épicentre de deux crises mondiales. La première était la première crise du Congo de 1960-1965. La deuxième était la deuxième crise de 1996 à 2003.  Le Congo semble donc être à la veille d’une troisième crise, qui entraînera une nouvelle guerre civile. Pour les Etats-Unis, il s’agit dont de «contenir» la Chine en réactivant les rebelles en organisant sans doute demain une pseudo révolution des couleurs à Kinshasa pour y installer un leader pro-occidental (Moise Katumbi actuellement réfugié à Londres et formé par le M16 ?). qui permettrait aux Etats-Unis de contrôler indirectement le commerce de cobalt de la Chine et de stopper les projets de routes transocéaniques africano-chinoises. Si une telle révolution des couleurs échouait en 2018, il resterait le vieux plan : la sécession du Katanga où l’on retrouverait d’ailleurs sans doute Katumbi à la tête d’une insurrection qui sera soutenue en réalité par une armée de mercenaires étrangers et de forces spéciales américaines. Mais avec les tractations minières congolo-chinoisezs du début de l’année, la donne a sacrément changé puisque maintenant, un pays non occidental – la Chine – a des investissements miniers si importants dans les quatre provinces du sud-est du Congo qu’elle ne pourra pas ne pas les défendre, ce qui constituerait alors une rupture majeure avec la politique normalement passive de la Chine.

On aura donc compris, qu’en raison de l’ampleur des enjeux géostratégiques et économiques du Congo, le renouvellement des conflits dans la région du Katanga et des Grands Lacs risque fort de devenir une crise mondiale. Le changement de régime attendu au Congo en 2018 s’y prête. Les États-Unis ont plusieurs raisons de vouloir que se produise un effondrement du Congo à la manière irakienne afin de perturber le flux minéral existant au Congo, affaiblir la capacité industrielle de la Chine et prendre enfin le contrôle de cette zone riche en minerai rare de manière à consolider le contrôle hégémonique des technologies du futur. L’affaire du code minier congolais à l’origine d’une crise diplomatique avec la Belgique a révélé aussi que la Chine s’est lancé dans de très grands projets: la Route Transocéanique Nord, le barrage Inga 3 et l’achat de la mine de cobalt Tenke. Toutes ces initiatives se complètent et font du Congo l’un des principaux partenaires internationaux de la Chine de demain. Ces trois projets dans le cœur du continent africain fournissent à la Chine une base solide pour projeter l’influence multipolaire dans le reste de l’Afrique. Positivement, cela permettrait à la Chine de remodeler toute cette région de l’Afrique, en transformant le Congo – historiquement l’un des États les plus faibles d’Afrique – en un pays prospère et modernes. Curieusement, mon congolais du kwassa-kwassa l’a parfaitement compris et il sait que les Occidentaux ne le permettront pas et on apprend ainsi par son intermédiaire qu’on peut s’attendre sérieusement dans les mois qui viennent à la déstabilisation du Congo par une classique « révolution orange » ou « révolution de couleur ».  Si celle-ci échouait, les États-Unis envisageraient d’autres options,  l’une d’entre elles étant d’utiliser le séparatisme katangais ou de relancer le conflit dans le Kivu. Le Congo se retrouve tout simplement à l’aube d’une nouvelle stratégie du chaos.  Quant au Katanga, qu’il soit embourbé dans la guerre ou réunifié en tant qu’État pro-occidental nominalement indépendant, il cesserait d’être un fournisseur fiable de cobalt pour la Chine.

Ce scénario du futur est très sombre.

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