Les
frappes anglo-américano-françaises dans la nuit du samedi 14 avril
contre de soi-disant dépôts syriens d’armes chimiques ne sont à
l’arrivée — convenons-en — qu’une vaste rigolade. Un simulacre de guerre
pour donner le change et sauver la face de ceux dont les effets
d’annonces et les petits phrases — notamment les tweets déjantés du
président Trump — outrepassent — et de loin — les limites létales (dead
lines), tant militaires que diplomatiques, celles que trace de façon
inflexible le réalisme géopolitique.
Finalement la grosse centaine de missiles tirés (à
bonne distance de sécurité) par la coalition occidentaliste n’a détruit
qu’une poignée de hangars vides et cela, avec l’aval — si ce n’est la
permission explicite — des Russes, lesquels se sont abstenus de mettre
en œuvre leurs capacités dévastatrices de défense anti-aériennes
hypersoniques (S300 et S400). Cela, à n’en pas douter, en concertation
négociée avec le ministère de la Défense moscovite. En témoigne
l’évacuation des lieux plusieurs jours avant l’intervention : ce qui
signifie en clair que le cabinet militaire de la Maison-Blanche avait
communiqué à son homologue du Kremlin les points de chute des missiles
punitifs (et vengeurs) afin d’éviter tout préjudice collatéral. Une mise
en scène assez piteuse qui en dit long sur l’impuissance des fins
stratèges du Département d’État et de Langley (CIA) à faire concorder
les gesticulations guerrières de la Grande Amérique et la nouvelle donne
géopolitique car si la Fédération de Russie est à l’heure actuelle une
nation en reconstruction (et un nain économique eu égard à l’immensité
de son territoire et un PIB plus proche de l’Espagne que de l’Italie),
elle est toutefois parvenue à restaurer un potentiel défensif qui oblige
à la prendre au sérieux.
Au final la baudruche occidentaliste s’est dégonflée.
Les exigences des poissons pilotes et autres commissaires politiques de
Londres et de Washington — les vrais tireurs de ficelles —, se sont
heurtées une fois de plus au mur de la réalité ! Résumons : les
planificateurs et les logisticiens du Pentagone, lorsqu’il s’agit de
jouer la partition écrite par quelque spin doctors 1, se montrent le
plus souvent réticents, voire carrément rétifs. Ils pèsent le pour et le
contre, les coûts et la probabilité de bénéfices escomptés. Dans ce
cas, l’opération sans l’assurance préalable d’une certaine réserve de la
part des Russes, était injouable. La semaine précédant l’attaque s’est
donc passée en discussions et ménagements afin que Moscou — qui avait
déjà fortement retroussé les babines et montré les crocs — laisse passer
et laisse faire les ridicules missiles foireux des coalisés du
mensonge. 71 d’entre eux sur 110 auraient en effet été interceptés par
la Flak syrienne (selon Moscou), à savoir des missiles sol-air S-125 et
S-200 de fabrication russe.
Mais ni la Russie ni l’Iran ne sont intervenus dans
les contre-mesures de la République arabe syrienne. Et pour cause : pour
éviter tout dérapage ou toute escalade intempestive, il fallait que les
frappes revêtissent un caractère suffisamment spectaculaire tout en ne
menaçant personne, pour crédibiliser les rodomontades des May, des
Macron et de l’aboyeur Trump, ce dernier empêtré dans l’affaire Michael
Cohen (dont le cabinet a fait l’objet d’un raid de la part du FBI),
l’avocat chargé d’acheter le silence de la poisseuse porno star Stormy
Daniels ; un épisode qui n’est pas sans rappeler Bill Clinton menacé fin
1998 d’impeachment comme aboutissement de l’épisode assez sordide des
affaires Paula Jones et Monica Lewinski. Celui-ci, pour desserrer l’étau
de la meute à ses trousses, s’était défaussé de ses cartes pourries en
faisant tirer une salve de missiles de croisière Tomahawk depuis huit
bâtiments de guerre croisant dans le Golfe persique et au moyen de
bombardiers stratégiques B52 partis de la base de Diego Garcia dans
l’Océan indien à 5 000 kilomètres de leurs cibles.
L’Opération Desert Fox 2 est lancée la veille de
l’examen de la destitution du président Clinton par la Chambre des
représentants, le 16 décembre 1998 et se poursuit trois jours durant.
Autre analogie, Renard du désert visait — tout comme aujourd’hui — la
destruction des capacités de l’État baasiste, à produire, entreposer et
assurer la maintenance d’armes de destruction massive. 30 500 militaires
américains et britanniques furent déployés dans le cadre de cette
opération qui causa la mort estimée de deux milliers d’Irakiens.
Conclusion : Bill Clinton ne regardait pas à la dépense pour valider le
mythe de l’extrême dangerosité irakienne et se tirer du mauvais pas que
constituaient ses frasques sexuelles à la Harvey Weinstein, digne émule
du Français juif Strauss-Kahn !
Samedi matin, le 14 avril, le général Joe Dunford,
chef d’état-major américain, a indiqué que les forces occidentales
avaient frappé vendredi à 21h (01h GMT samedi) trois cibles (l’une au
sud de Damas, les deux autres à proximité d’Homs) liées au « programme
d’armement chimique syrien » dont les diverses composantes sont censées
avoir été totalement démantelées sous contrôle de l’Organisation pour
l’interdiction des armes chimiques (OIAC) en 2014. C’est cette même
institution internationale qui devait conduire le 14 avril (un jour trop
tard !) une enquête — désormais sans objet puisque la sentence a été
exécutée avant que ne soit rendu le verdict — relative au supposé pogrom
chimique de Douma, motif et prétexte de la bordée de missiles tirée
contre la Syrie. Il est au demeurant tout à fait exorbitant du sens
commun que la punition soit infligée avant que les faits et la
culpabilité ne soient clairement établis.
En tout état de cause, si les États-Unis et leurs
auxiliaires entendaient (prétendaient) détruire un potentiel de nuisance
spécifique (et réputé odieux : resterait encore à déterminer si périr
de suffocation est incomparablement plus tragique que d’avoir le corps
déchiqueté par une bombe ?), ceux-ci ont par conséquent donné un profond
coup d’épée dans l’eau, les ressources humaines et matérielles de
l’armée syrienne étant restées de toute évidence parfaitement intactes.
Ici une question se pose : pourquoi ces lieux de production et les
dépôts visés aujourd’hui, s’ils avaient été au préalable identifiés
comme tels, ne pas les avoir détruits préventivement avant que le
« Boucher de Damas » n’eût recours à ces armes prohibées par la
Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du
stockage et de l’usage des armes chimiques et sur leur destruction
signée à Paris le 13 janvier 1993, notamment par la Syrie baasiste ?
Lors de la conférence de presse qu’ont tenue pendant
l’attaque, le secrétaire d’État à la Défense, Jim Mattis, et le chef de
l’état-major, John Dunford, le premier s’est montré dans l’incapacité de
produire aucune preuve tangible d’une quelconque attaque ou de
préciser, pour le second, la nature de l’agent chimique incriminé, tous
deux arguant de la difficulté d’exfiltrer ces preuves de Syrie. On croit
rêver ! C’est par conséquent sur de simples suppositions qu’une
offensive à très longue portée 3 a été lancée contre un État souverain…
Attaque unilatérale tripartite sans l’ombre d’une
esquisse de preuve et sans le moindre mandat du Conseil de Sécurité de
l’Organisation des Nations unies. Sans consultation ni vote non plus des
Parlements nationaux à Paris et à Londres (comme en 1999 pour l’attaque
de la Serbie par l’Otan, comme en 1991 pour la participation de la
France mitterrandienne à la première guerre du Golfe contre l’Irak de
Saddam Hussein et comme en 1939 pour la déclaration de guerre de la
France à l’Allemagne hitlérienne). Et ce (un comble), alors que les
États-Unis, le Royaume-Uni (encaqué dans le Brexit) et la France
(macronienne des zadistes, des grèves, des facultés bloquées et des
conflits sociaux) sont tous trois membres permanents de ce même Conseil
de sécurité et nantis du droit de veto. Qui sont — et que croient-ils
être ? — ces dirigeants de « pays voyous » pour décider sur un coup de
dés du sort de la communauté internationale ? Car ne nous leurrons pas,
cette intervention aurait pu avoir et pourrait avoir dans l’avenir des
conséquences inattendues (et potentiellement dévastatrices) pour
l’équilibre du monde dans un contexte de guerre commerciale à peine
larvée entre la première puissance économique planétaire, la Chine, et
une Amérique sur la défensive, tandis que de forts abcès de fixation
subsistent en Ukraine et dans la péninsule de Crimée, symptômes d’une
nouvelle Guerre froide !
Quelle est in fine la légitimité en Droit de ces
frappes international ? Pour le gouvernement français (à ne pas
confondre avec le pays réel), la référence serait cette « ligne rouge
fixée par la France en 2017 », dixit Emmanuel Macron, président de la
République, qui confond sa petite personne avec l’État… reste que n’est
pas Louis le quatorzième qui veut ! « Nous ne pouvons pas tolérer la
banalisation de l’emploi d’armes chimiques » a encore proféré le susdit…
« Il n’y a pas d’alternative à l’usage de la force pour empêcher le
recours à des armes chimiques par le régime syrien » éructe pour sa part
Theresa May. Et l’inénarrable Bernard Henri-Lévy, conscience des
consciences humanitariennes, de déclarer sentencieux sur France Info le
14 avril : « l’intervention armée est un Droit sacré constitutif de
l’essence de la légalité internationale [au-delà de la stupide et vaine
légalité formelle]… afin de sauver les derniers enfants survivants
d’Idlib ». Bastion où se trouvent actuellement regroupés les combattants
d’Al-Qaïda, d’Al-Nosra et de Daech évacués des villes libérées par les
forces loyalistes.
On voit bien comment s’orientent les tropismes du si
sympathique Lévy, homme d’un si grand cœur qu’aucun recours au pathos ne
rebute, pas même le plus abject. Précisons que Bernard-Henri Lévy
s’adosse pour mieux nous enfumer, à un distinguo douteux — que les media
s’acharnent d’ailleurs à incruster dans l’opinion — entre bons
rebelles et méchants islamistes. Distinction relevant de la confusion
mentale et de la mauvaise foi les plus crasses ; elle permet utilement
de s’apitoyer sur les uns et de les armer, et de mitrailler sans état
d’âme les autres (quand on ne les accueille pas à leur retour aux frais
du contribuable). Las, ce sont les mêmes, certes de différentes
obédiences, mais tous aussi sanguinaires que politiquement et
mentalement arriérés.
Néanmoins l’opposition hexagonale regimbe maintenant à
gober la langue de bois triomphaliste des redresseurs de torts
défenseur d’une morale sur mesure et du shérif élyséen. Ainsi le
Républicain, Julien Aubert, député de Vaucluse, s’exclame : « En
bombardant sans l’aval du Conseil de sécurité un pays souverain, comme
Bush en Irak, la coalition détruit le système légal de l’ONU » et
compromet par là même la pérennité et la crédibilité d’une Institution
déjà mal en point. Quant à François Asselineau, candidat malheureux à la
présidentielle, il n’y va pas par quatre chemins demandant aux
parlementaires comme « suite à la décision solitaire et illégale
d’Emmanuel Macron de frapper militairement en Syrie, d’engager la
destitution du président de la République suivant l’article 68 de la
Constitution ». Et à quand le Tribunal Pénal International pour Sarkozy
et son cher ami Lévy, bouchers et bourreaux de la Libye, ces grands
responsables des vagues invasives d’immigration en Europe ?
Notons que si la France croit être de retour sur la
scène internationale, c’est au prix d’une servilité inégalée à l’égard
de son mentor américain. Un jeu dangereux en ce qu’à travers la Syrie et
le régime baasiste incarné par Bachar el-Assad, c’est d’abord la Russie
qui se trouve visée et que sa grande patience atteindra forcément, à un
moment ou à un autre, ses limites. Le camp occidentaliste a perdu la
guerre de Syrie et ne veut pas l’admettre. Pas plus qu’il ne peut
accepter la reconstitution d’une zone d’influence russe en Méditerranée
orientale (bases navale de Tartous et aéroportuaire de Hmeimim en pays
alaouite), ou encore le contrôle de la Mer noire et de la Mer d’Azov à
partir de Sébastopol.
« Pendant ce temps, les Saoudiens tuent des Yéménites
et les Turcs des Kurdes avec des armes américaines, françaises et
allemandes. Le droit international moderne est à ce titre tout à fait
distrayant. Le président Macron a des preuves de la vilenie du régime
syrien : on espère les voir un jour… De toute façon, elles sont
superflues, car quelques heures après les vidéos envoyées par les
gentils islamistes appelés casques blancs, Donald Trump avait décrété
dans la solitude du Bureau ovale que le coupable était “l’animal Bachar”
écrit fort justement un contributeur de Boulevard Voltaire
[cf.bdvoltaire/A.deLacoste15avr18].
Et puis, disons-le, il y en a assez du deux poids deux
mesures. Bernard-Henri Lévy prétend pleurer sur le sort d’enfants
syriens qu’il faudrait absolument sauver en bombardant le pays de Bachar
el-Assad mais il se moque éperdument du sort des gamins palestiniens
régulièrement massacrés par l’armée israélienne alors qu’il s’agit de
mineurs et de civils désarmés. Aucun pays au monde ne pourrait se
permettre d’agir comme le fait Israël sans recevoir des bombes sur la
tête. La religion de la shoah confère à Israël une impunité et une
immunité totales. Au nom de la Mémoire tous les jours l’entité sioniste
tue, humilie, affame, détruit des cadastres, rase des maisons de
Palestiniens qui sont pourtant là-bas chez eux, tous les jours elle
viole le droit international, les résolutions de l’ONU, la morale, le
bon sens et la simple humanité sans que jamais elle ne soit amenée à
répondre de ses crimes odieux. Or, s’il y a au monde un Etat voyoux,
terroriste et mafieux, c’est bien de l’entité sioniste qu’il s’agit.
Enfin, c’en est assez des mensonges destinés à
justifier des guerres injustifiables. Qui ne se souvient de la fiole
brandie à l’ONU en février 2003 par Colin Powell et qui était destinée à
faire croire à l’existence d’armes de destruction massive irakiennes du
temps de Saddam Hussein ? Qui ne se souvient, treize ans auparavant, du
mensonge éhonté sur les bébés koweïtiens qui auraient été enlevés avec
violence de leur couveuse et massacrés par la soldatesque irakienne au
moment de l’annexion du Koweït par l’Irak ? Ceux qui profèrent de telles
ignobles calomnies afin de diaboliser et d’anéantir l’adversaire et de
justifier des guerres atroces sont des criminels qui mériteraient d’être
jugés et condamnés sans ménagement.
Léon CAMUS et Jérôme BOURBON
Editorial du numéro 3326 de RIVAROL daté du 18 avril 2018
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